Dès l’arrivée des premières familles bulgares à Autun, le sujet de la scolarisation des enfants semble avoir été une source d’inquiétudes et un point d’achoppement pour les enseignants ainsi que pour les différents professionnels des services institutionnels de la ville.

On a rapidement fait le constat que les jeunes Autunois bulgares éprouvaient de grandes difficultés à poursuivre leur scolarité sans encombre. Les problématiques liées à l’absentéisme et au décrochage scolaire se sont avérées très récurrentes et ce phénomène semble avoir laissé beaucoup de professionnels dans l’incompréhension et le désarroi, tentés de conclure un désintérêt collectif de l’ensemble des Autunois bulgares pour l’enseignement.

À l’endroit où l’école est perçue par ces professionnels comme un facteur essentiel d’intégration et d’émancipation, on comprend qu’il leur est peut-être difficile d’avoir lecture de ce qui empêche les jeunes Bulgares et leurs parents de se saisir pleinement de cette opportunité.

Une des clés de compréhension de ce phénomène consiste à considérer que le rapport des Autunois bulgares à l’école est construit de manière non négligeable par l’expérience qu’ils en ont faite avant d’arriver en France, à titre individuelle comme à titre collectif.

Dans sa thèse de 2014, Alexandra Clavé-Mercier donne des éléments fondamentaux pour comprendre ce qui sous-tend ces rapports.

En Bulgarie, sous le régime communiste, entre 1944 et 1989, le gouvernement a mené une politique de « reconnaissance culturelle des minorités » puis d’ « assimilation » conjuguée à une tentative d’éradication de l’illettrisme. L’éducation était pensée comme un instrument de « diffusion des valeurs communistes et d’unification de la société ». L’état a donc déployé une stratégie visant à ce que chaque citoyen quel que soit son origine ethnique puisse bénéficier d’un enseignement.

Pendant cette période, de nombreuses initiatives étaient mises en place par l’état pour encourager la scolarité notamment auprès des minorités dont sont aujourd’hui issus les migrants bulgares d’Autun (école obligatoire, cantine payée par les municipalités, prise en charge par l’état des frais de scolarité en maternelle et pour les familles de plus de deux enfants, livres et cahiers offerts, instituteurs qui vont chercher les enfants chez eux, etc).

Cependant, à la fin de cette période, ces minorités ont perdu la proximité qu’ils avaient construite avec les institutions et notamment avec l’école. Entre 1989 et 2021, période de transition politique et de crise économique pour la Bulgarie, les minorités dont sont issues les Autunois bulgares n’ont pas bénéficié des mêmes droits que les autres citoyens, leurs conditions socio-économiques se sont considérablement dégradées et ils ont été plus que jamais marginalisés. L’école en tant qu’institution a abandonné sa mission auprès de ces populations, tout en restant obligatoire.

Aujourd’hui, en Bulgarie, dans les « mahalas » (les quartiers où vivent ces minorités), les écoles sont très mal équipées et ont très peu de moyens, l’état est complètement désengagé de sa mission auprès de ces habitants pauvres. Les enseignants sont peu motivés à l’idée d’enseigner dans ces conditions et auprès d’une population considérée comme « problématique ». De fait dans ce contexte, les parents et les enfants se désintéressent de la scolarité, ce qui forme un cercle vicieux et renforce l’idée communément partagée que cette population ne s’intéresse pas à l’éducation.

À la lumière de ces éléments, on peut imaginer ce qui se joue à Autun. Les Autunois bulgares qui ont eu l’expérience de l’école en Bulgarie, portent ce rapport particulier à l’école, cet intérêt très modéré de l’institution scolaire à leur encontre, qui fait penser à certain que l’école en Bulgarie n’est pas obligatoire. Ce cercle vicieux entre le manque de considération, le rejet dont ils ont fait l’objet dans la société bulgare par le prisme de l’école et leur propre désintérêt se réactive en France pour différentes raisons. Postulons donc qu’un travail de restauration de cette confiance pourrait être la condition sine qua non à la construction d’une relation pérenne et soutenante entre les jeunes Autunois-bulgares et l’école.

Laurie Darroux – Ethnologue