La vie que construisent les Autunois bulgares entre France et Bulgarie a cette capacité intéressante de contrarier la vision très figée que nous pouvons nous faire d’un parcours migratoire. 
Un migrant dans la représentation collective est sensé être un individu qui va d’un point A à un point B, d’un pays à un autre, pour des raisons qu’il est confortable de pouvoir attribuer à des circonstances économiques, politiques ou climatiques.

La manière dont les Autunois bulgares de circulent dans l’espace transnational vient donc bousculer cette perception et pour les acteurs institutionnels, elle est souvent synonyme d’incompréhensions et de « problèmes ». Elle rend difficile la continuité du suivi social, éducatif, sanitaire et administratif des personnes. Les allers-retours entre la France et la Bulgarie pratiqués par les Autunois bulgares ne se soumettent pas toujours à des logiques accessibles du point de vue français et du point de vue des institutions. 

Une lecture différente de la situation permet de comprendre qu’en réalité, les Autunois bulgares tissent une autre façon d’habiter, une autre manière d’envisager leur rapport au territoire. Ils construisent des vies qui se trament dans un entre deux, entre France et Bulgarie, entre Autun et Pechtera. Ils tissent des vies transnationales au sein desquelles, la circulation entre les territoires s’inscrit dans le quotidien de leurs existences. En somme, les Autunois bulgares ne projettent pas nécessairement leur vie ici ou là-bas. Mais bien ici et là-bas.

Dans sa thèse de 2014, qui explore notamment ces questions de mobilités migratoires chez les minorités bulgares, Alexandra Clavé-Mercier analyse ces parcours singuliers, novateurs et propose des éléments de compréhension sur les nécessités et les stratégies individuelles et collectives sur lesquelles reposent ces processus. 

Elle explique notamment que cette façon de vivre procède d’une tentative « d’exister autrement » pour des personnes qui n’ont pas accès à l’exercice plein de leur liberté et de leur citoyenneté, marginalisées dans leur pays de départ et venant de milieux généralement précaires. La circulation vers un autre pays comme la France s’inscrit dans une tentative de redéfinir un statut social, sans rupture avec le payse de départ. Il s’agit bien d’un acte volontaire mais conditionné (voir contraint) par des nécessités économiques, sociales et politiques: générer suffisamment de ressources, en additionnant celles des deux pays, pour sortir de la précarité.
En entrant dans cette logique transnationale, la possibilité de redéfinir leur statut économique et social, de s’extraire d’une forme de déterminisme se met en place, à la fois dans la société bulgare mais aussi de fait, dans la société française, qui n’a pas élaboré sa politique migratoire avec cette pratique d’allers-retours transnationaux. 
Pour Alexandra Clavé-Mercier, cette dynamique migratoire particulière est un moyen de construction spécifique qui produit une certaine émancipation. Elle pose l’hypothèse qu’en naviguant d’une marge à l’autre, d’un contexte stigmatisant à une situation migratoire plus ou moins stable, cette population tente de mettre en circulation leur identité, ce qui leur permettrait peu à peu de s’extraire d’une condition figée dans la précarité et l’exclusion.

Laurie Darroux – Ethnologue