La communication entre français et bulgares est impossible sans traducteur

Il fait froid ce matin, le ciel est tout blanc et quelques flocons commencent à tomber.
On sonne à la porte d’un immeuble proche du centre ville et on nous répond de l’autre côté de l’interphone. Il faut qu’on descende nous ouvrir, la porte est cassée depuis longtemps, on ne peux plus l’activer à distance. On grimpe au premier étage et dans le vestibule sur le palier, je vois des luges en plastique. Sans doute ont-ils aussi profité des chutes de neige sur le Folin !

Là encore je me déchausse avant d’entrer dans l’appartement. Et j’ai la même impression que lorsque je suis arivée chez Pembé et Serguei : un espace lumineux, des murs immaculés auxquels sont accrochées quelques photos de famille. Une télévision qui fait face au grand canapé d’angle, prêt à nous accueillir. Tout est si ordonné que j’ai peur de déranger.

On a apporté des croissants et des pains au chocolat pour partager le petit déjeuner ensemble. Mais comme on dit, « les grands esprits se rencontrent », et B. avait elle aussi un sachet de boulangerie déposé sur la table basse. Elle nous propose un café et nous sert un verre de jus de fruits bulgare, qui vient de l’épicerie turque.

B. a presque mon âge et déjà de grands enfants. Très vite je me rends compte qu’elle comprends parfaitement le français. Elle s’exprime relativement bien, quelques mots de vocabulaire lui manquent un peu mais la conversation s’installe de manière fluide.
On parle de la situation sanitaire qui l’inquiète : elle ne veut pas tomber malade mais le vaccin lui fait peur. Elle cherche à savoir ce qu’on en pense, si nous irons nous-même recevoir une injection. Je comprends d’autant plus son appréhension du monde médical lorsqu’elle nous explique son arrivée en France. Son premier fils avait 5 ans et elle était enceinte. Sans prise en charge, elle a traversé sa grossesse saisie de nombreuses douleurs, dans un habitat austère. B. raconte à quel point l’apprentissage a été long et fastidieux, pour comprendre les méandres administratives et savoir s’orienter un peu plus facilement aujourd’hui. 

C’est curieux, je n’ai pas la sensation de rencontrer une inconnue. Je suis là, invitée dans son foyer pour la première fois et c’est un peu comme si je rendais visite à une copine. D’ailleurs la conversation dérive tranquillement vers un échange plus léger. Lorsqu’on demande à B. ce qu’elle pense des récentes fiançailles de son fils, elle insiste joyeusement pour qu’il aille chercher un album. Il s’agit d’un cadeau que lui a fait son amoureuse, des photographies du jeune couple et une véritable déclaration d’amour polyglotte. Des phrases turques, françaises, anglaises légendent les images. B. est très heureuse d’accueillir une nouvelle femme dans la famille. Elle se sent un peu seule et il lui manque une amie à qui se confier.
Sur une des photographies des fiançailles, B. apparait toute apprêtée, les cheveux teints en blond. Elle me fait d’ailleurs des compliments sur mes cheveux de la même couleur, sur mes yeux… En réalité, elle semble très curieuse de mieux nous connaître et pose autant de questions que nous. 

Elle et son fils s’amusent un peu de ma gêne lorsque je demande où sont les toilettes. On doit voir que je suis un peu maladroite dans mes déplacements. Ce n’est pas que je suis mal à l’aise, mais tout est tellement propre que je crains de renverser un verre ici, de déplacer un objet là… D’ailleurs c’est ce que je finis par faire, en laissant du café couler le long du canapé ! Une serviette pour éponger ça et B. me rappelle qu’ici je dois faire comme chez moi. Son hospitalité est vraiment sincère. On parle un peu de la Bulgarie, du mythe d’Ederlezi et de la manière de le célébrer en France. 

Cela nous donne un prétexte pour regarder des vidéos musicales ensemble sur la télévision.
Une certaine connivence s’installe entre nous alors que défilent des images d’artistes décomplexés. Pas de puritanisme entre nous, nous rions de bon coeur ! La sororité fait peut-être fuir son fils qui doit se préparer pour un rendez-vous. Mais nous avons en quelque sorte dépassé le besoin de son intermédiation, malgré les difficultés de langage. Parfois les mots ne suffisent pas pour communiquer, mais on trouve d’autres subterfuges. Les regards, les gestes, les sourires en disent plus que certaines banalités échangées. Je suis tellement enthousiaste que je propose qu’on prenne une photo pour immortaliser ce moment partagé !

Nous déclinons l’invitation à rester pour le déjeuner et prenons congés de nos hôtes. B. nous accompagne à la porte, nous répète que nous sommes les bienvenues pour lui rendre visite à nouveau. D’autant qu’en ce moment, elle s’ennuie un peu. Entre la pandémie qui restreint ses déplacements et ses possibilités d’emploi, le temps est long. Elle ne trouve plus de travail, malgré de solides références et une vraie expérience professionnelle.
Avant de se quitter, on se prend à rêver d’un projet d’entreprise dans lequel on ne recruterait pas les gens sur leur bonne pratique de la langue française mais sur leurs compétences, sur l’envie commune de tenter un pas de côté… 

Laëtitia Déchambenoit – Journaliste ethnographique